Trois vies et une corde

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Un argument très simple : trois alpinistes font une ascension du Mont Blanc. Cette situation permet d’aborder les dangers de la montagne : les avalanches, les crevasses, le brouillard, l’escalade des rochers, l’encordage, etc. Mais tout cela est magnifié, transcendé par une utilisation remarquable et forte du langage du cinéma.

Un exemple, le début Hitchcockien : un plan sur une plaque recouverte de neige qui indique le lieu, un pano en plongée sur un horizon impressionnant, un homme ouvre la fenêtre d’un chalet,… les pieds en gros plan des alpinistes en marche. Cette efficacité du montage va être utilisée pour faire de ce film un hymne à l’homme, à son rapport au monde et à l’espace, à la beauté de l’effort. Il n’y a pas de message volontariste mais une adéquation poétique et exaltante du geste à son but, d’un corps et de la maîtrise des éléments. Ce lyrisme est constamment soutenu par la musique polyphonique de Maurice Jaubert qui rythme la montée et la conquête d’un sommet. On retrouve là une efficacité et une esthétique du plan et du montage qui rappellent à la fois Vertov et Riefenstahl, cette double parenté excluant tout rapport à l’idéologie. Il n’y a ni pathos, ni mélodrame, ni beauté du plan pour le plan, ni message. L’esthétique n’est jamais coupée de l’éthique c’est-à-dire, pour un documentaire, elle est liée au vrai du sujet et au désir d’informer sans déformer. Les péripéties sont simples et justes mais deux récits de montagnards, un drame (le petit chat des neiges) et un épisode burlesque (l’alpiniste amateur) sont là pour rappeler qu’Henri Storck est le grand fictionnaliste de la nature.

 

Réalisation : Henri Storck

Prises de vues : Georges Tairraz

Conseillers technique : Roger Frison-Roche, Georges Tairraz

Musique : Maurice Jaubert pour 3 chanteurs et 8 musiciens
Prise de son : Melodium, Studios van Neuilly, Charles Boutelleau-procédé (Brevet Thomson Houston)

Montage : Henri Storck

Production : Henry Françoix connu sous le nom de Nicodex

Carton : IFA présente « un film d’alpiniste tourné entièrement en haute altitude dans le massif du Mont Blanc avec le concours de guides professionnels »

 

35mm/N&B/33 minutes/1933

 

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Ce qui caractérise le plus l’apport de Storck à ce genre (le film de montagne) c’est une attention tout à fait inédite aux gestes, aux comportements, aux actions. On oscille entre une sensibilité déjà quasiment anthropologique et une vive attention pour le fait technique, sportif. Il suit les opérations jusque dans leurs moindres détails et avec une grande attention d’analyse, pour mettre en évidence la complexité d’un savoir articulé et fascinant, qui mène à des performances spectaculaires, mais qui est basé sur une connaissance technique concrète et manuelle.

Leonardo Quaresima, Henri Storck, illitorale belga, Campanotto Editore, Udine, 1994.

 

Voyant ce film on est frappé par la rigoureuse simplicité de la vision, par le relus de dramatisation et de présenter les alpinistes comme des surhommes. Storck se situe à l’opposé du sensationnaliste romantique d’un Arnold Franck… Il a retenu la leçon de Flaherty et qui a pour principe de s’en tenir au comportement quotidien des personnages, remis en situation, et de traduire la beauté des paysages, telle qu’elle est, sans effet esthétique.

Paul Davay, Revue Belge du cinéma, Bruxelles, août 1979.

 

Inconscient, Storck le fut jusqu’à la fin du film. Ce diable d’homme par une déformation personnelle ne voyait que cinéma, ne parlait que cinéma et transposait tout sur le plan du spectaculaire. Désireux d’avoir une avalanche et peu satisfait de la maigre coulée que nous avons réalisée, il nous exaspéra un jour à un tel point que nous résolûmes un jour de faire partir une belle coulée. Storck et toute la troupe allèrent se placer sur un replat. Puis il nous cria: Et je veux une coulée qui s’arrête là, vous m’entendez, là à 50 centimètres de l’appareil de prise de vue.

Roger Frison-Roche, La revue du ski, N°8, Ed. la Revue du ski, Strasbourg, octobre 1933.