Le poète belge Christian Dotremont, animateur du mouvement COBRA, invente une écriture-dessin.
Ecrivain, principal animateur du mouvement artstique Cobra, Christian Dotremont invente le logogramme en
1962. Il entreprend dans ces encres de faire jouer aussi réciproquement et aussi intimement que possible l’imagination
verbale des mots et l’imagination graphique de l’écriture. Dans la pension « Pluie de rose » où il s’est réfugié à Tervuren, près de Bruxelles, il nous donne à voir comme des sortes de dessins ces manuscrits de tout premier jet, à la fois poèmes et dessins: logogrammes, puis nous les donne à lire, car après coup il en récrit le texte en petites lettres lisibles. A moins qu’insatisaisfait, il ne jette le logogramme, dont il ne reprend jamais rien.
1972. 16 mm., couleur, 14′
Réalisation: Luc de Heusch.
Scénario: Alechinsky.
Images: Michel Baudour.
Banc-titres: Equipe Arcady.
Montage: Pierre Joassin.
Son: Jacques Eippers.
Voix: Christian Dotremont.
Production: Luc de Heusch
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Ce film est consacré au mouvement poétique artistique qui tourna le dos résolument au surréalisme de l’image tel que le concevait Magritte. Il s’agit du mouvement COBRA. Au centre de celui-ci se trouve un homme étonnant, Christian Dotremont. J’ai entrepris d’en faire le ciné-portrait en 1972, quelques années avant sa mort et bien longtemps après la dissolution du mouvement qu’il anima. COBRA n’aurait sans doute pas existé comme moment essentiel de l’art contemporain sans l’extraordinaire ubiquité de Dotremont, coordinateur,
catalyseur, détecteur de sensibilité, s’ingéniant à abolir les frontières entre le dessin et la poésie d’une part, mais aussi entre les pays et les langues, résolument hostile à toute forme de chauvinisme. Le nom. même du mouvement qu’il crée avec quelques amis à Paris en novembre 1948, COBRA, est fabriqué, comme vous le savez, à partir des premières syllabes de trois capitales, celles du Danemark, de la Belgique et de la Hollande. 1949, 1950, 1951, sont trois années de grand bouillonnement intellectuel dans les directions les plus variées: c’est un immense travail individuel mais aussi collectif, au carrefour de l’écriture et de la peinture. Je ne vais pas vous raconter l’histoire de
COBRA. Je voudrais m’attacher plus particulièrement à la personnalité complexe de Christian Dotremont qui réussit à réaliser dans son œuvre la ‘fusion intime de l’écriture poétique et du dessin. J’ai connu Dotremont après avoir rencontré Pierre Alechinsky qui m’a entraîné dans l’aventure de COBRA. Pierre m’a invité à partager dès l’automne 1949 la vie commune, joyeuse, d’une espèce de collectif d’artistes qu’il avait réunis avec le sculpteur Olivier Strebelle, dans une maison à peine salubre mais fort vaste située 80 rue du Marais à Bruxelles.
Pour me loger aux Ateliers du Marais, les Alechinsky n’avaient pas hésité à couper en deux leur minuscule cuisine au moyen d’une cloison de bois, m’offrant généreusement la fenêtre qui donnait sur la rue, mais plongeant ainsi leur réchaud à gaz dans l’obscurité. Alechinsky venait de rencontrer Dotremont. Ils travaillaient intensément ensemble à la rédaction d’une revue qui compta dix numéros. De nombreux amis rencontraient plus fréquemment Dotremont chez lui, 10 rue de la Paille, dans un lieu dont il est question aujourd’hui de faire le sanctuaire de COBRA à Bruxel-
Magritte, Dotremont-les-logogrammes et Alechinsky les; mais Dotremont venait très souvent dans l’atelier de Pierre et nous nous retrouvions souvent autour de la même table.
Le film que vous allez voir n’a pas l’ambition de tracer un portrait complet de Dotremont, écrivain et animateur de
COBRA. Il traite plus précisément de cette invention extraordinaire qu’est le logogramme. J’ai filmé Christian, alors que gravement malade et épuisé, mais extraordinairement actif, il passait les dernières années de sa vie en compagnie de la mort dans une pension qui s’appelait ironiquement « pluie de rose» à Tervueren. C’est dans cette retraite singulière peuplée de vieillards que je l’ai filmé en 1972, traçant ces poèmes-dessins admirables
et énigmatiques dont il avait inventé la formule.
Vers 1962, Dotremont abolit les frontières entre le dessin et l’écriture, impose une écriture-dessin, qui est le produit d’un seul et même geste créateur. En contraste absolu avec la rigidité de l’image académique de Magritte, COBRA affirme les droits d’une peinture spontanée, d’une écriture gestuelle.
Les figures que vous allez voir ne sont pas des idéogrammes; elles n’évoquent pas non plus les dessins de Michaux; elles sont l’expression graphique, dans la spontanéité du geste, d’un poème. Mais la parole est devenue illisible et pour garder le texte ainsi advenu de l’inconscient à la conscience, Dotremont prend soin de le noter au bas du dessin en petits caractères lisibles. Mais si, en cours de route, surgit le moindre accroc, si dans ce plein jet, l’harmonie entre le dessin et l’écriture cesse d’exister, Christian déchirait résolument l’œuvre avortée. C’est la raison pour laquelle vous allez voir le film se terminer par un feu de joie ou, si vous voulez, un feu de mort.
Luc de Heusch Bulletin-Palais des Académies, 5è série-Tome LXX, 1988 5-9