Magritte ou la leçon de choses

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L’univers poétique de Magritte, avec la participation du peintre et de quelques écrivains du groupe surréaliste belge: Marcel Lecomte, Scutenaire, Camille Goemans, Irène Hamoir.

 

1960. 35 mm., couleur, 20′

 

Production Luc de Heusch et Télévision Belge
Réalisation Luc de Heusch
Scénario Jacques Delcorde et Luc de Heusch, avec la collaboration de Jean Raine
Musique Célestin Deliège
Ensemble instrumental Direction Élie Poslavsky
Montage Suzanne Baron
Voix de Serge Sauvion
Directeur de la photographie Freddy Geilfus et Oleg Tourjansky
Cameraman Fernand Tack
Effets spéciaux Arcady
Ingénieurs du son Antoine Bonfanti et Jean Velu

 

Diplôme spécial à Bergame en 1960

Premier Prix du film sur l’art, Quatrième Festival  du Film Belge à Anvers en 1960

 

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A cette volonté du peintre de couper l’image des structures habituelles du langage et de la pensée, correspondent 
dans le film des traits d’invention narrative (le jeu de société), des trouvailles de mise en scène (comme ces 
travelings arrière qui, par découvertes successives, remettent sans cesse en cause notre vision des choses), tout 
un jeu adroit de miroirs, de mirages, qui dérange la superposition entre le monde normal et son reflet dans le 
langage ou sur la toile: heureuse mise en valeur du travail de Magritte, qui restitue avec invention et fidélité l’esprit même de sa tentative.
Michel Flacon dans Cinéma 61 (Paris) février 1961

 

C’est un défilé d’images fantastiques qui laisse une impression curieusement mélangée d’angoisse et de sérénité. 
on entre ici dans le domaine intime et secret d’un artiste sensible. non dans ses rêves ou dans ses cauchemars, 
mais dans de successives projections sous une forme poétique des interrogations qu’il pose … ce film intitulé 
la leçon de choses, constitue une admirable introduction à l’œuvre de rené Magritte.
André Thirifays le soir (bruxelles), 22-4-1960

 

C’est à André Breton que j’ai emprunté le titre du film « Magritte ou la leçon de choses ». Breton a su définir de 
manière lapidaire le projet de Magritte tel que je tente de l’illustrer dans mon film. « Seul de cette tendance », écrit Breton, « il a abordé la peinture dans l’esprit des leçons de choses et, sous cet angle, a instruit le procès systématique de l’image visuelle dont il s’est plu à souligner les défaillances et à marquer le caractère dépendant des figures de langage et de pensée ». Ce jeu entre les figures de langage et de pensée est effectivement 
l’un des thèmes majeurs du film. Il deviendra aussi, mais d’une autre façon, l’une des préoccupations de certains artistes de COBRA.

  Michel Foucault a écrit de fort jolies choses sur cette tension dialectique entre le mot et l’image chez Magritte. Son texte a été publié bien après la réalisation du film, mais je me permettrai de l’évoquer car il pourrait aider à éclairer mon propos cinématographique.

Foucault propose d’interpréter le célèbre « Ceci n’est pas une pipe» comme un calligramme défait. Un calligramme, vous le savez, est une figure composée avec des lettres, de telle sorte que l’écriture et le dessin ne font qu’un. Le tableau de Magritte serait un calligramme dénoué et-ou défait, dans la mesure où le texte, remis à sa place, détaché de l’image, la nie. Cependant les mots font partie du tableau, ce sont donc des images de mots, 
ls ne composent pas une légende; au contraire, ils retirent à l’image de la pipe son évidence de pipe. Nous voici donc en plein trouble. Le film s’achève par l’évocation d’un second désordre du langage. Le tableau s’intitule « L’art de la conversation ». L’on y voit deux personnages minuscules murmurant on ne sait quoi, alors qu’un démiurge mystérieux a inscrit un mot, le mot « rêve », dans une construction de pierre chaotique. 
Or, nous savons que Magritte n’est pas un peintre du rêve. Ce mot qui échappe, en quelque sorte, à toute épaisseur s’inscrit, en lettres de pierre. Ici, dit Michel Foucault, à juste titre, les choses forment leur propre mot dans l’indifférence des hommes.
Toute l’œuvre de Magritte se déploie comme jeu de mots et d’images entre ces deux pôles. Entreprise hautement subversive qui détruit l’espace réel comme l’espace de la peinture. Comme le dit encore Foucault: la vieille pyramide de la perspective n’est plus qu’une taupinière prête à s’effondrer. Ce sont ces jeux de l’esprit que le film évoque, sans s’attarder aux efforts techniques ou technologiques d’un peintre qui détestait le métier, con­sidérant que le tableau était un objet bien embêtant à fabriquer.

Luc de Heusch Bulletin-Palais des Académies, 5è série-Tome LXX, 1988 5-9