Cobra en Persephone

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Cobra et Perséphone Interview (Luc de Heusch, Henri Storck, Henri Thirifays)

 

L.H: Cobra a répondu, juste après la guerre, aux aspirations d’un certain nombre de peintres d’âges très divers, 
les uns comme Alechinsky qui avait comme moi 20-22 ans à l’époque, d’autres plus âgés comme Jorn, qui avait déjà près de 40 ans. Aspirations de peintres très divers, dans des pays un peu périphériques, plutôt nordiques, à créer 
une nouvelle peinture, à exprimer quelque chose d’autre que ce qu’avaient fait les mouvements dominants qui avaient précédé: l’art abstrait (qu’on appelle maintenant géométrique). Ils détestaient le géométrisme de Mondrian, surtout les hollandais; pour eux, Mondrian c’était le diable! 
Il fallait bien réagir. Chaque génération réagit contre un héritage pour construire quelque chose, sinon ce serait
Cobra et Perséphone lamentable, on n’aurait jamais fait que de~ statues grecques, et on aurait continué à suivre les conseils de l’Académie …
D’autre part, il y avait aussi une certaine hostilité, assez ambigüe, à l’égard d’un certain surréalisme figé, 
celui de Magritte précisément. En revanche, des gens comme Miro étaient fort admirés par mes amis.
Enfin, la troisième tendance, nouvelle, contre laquelle s’élevait Cobra, c’était le réalisme socialiste. On a un
peu oublié cela aujourd’hui, mais après la guerre, dans les années 50, le parti communiste exerçait une fascination 
extraordinaire sur l’ensemble des intellectuels. Pensez à toute l’aventure de Sartre et à tous ceux qui ont été es compagnons de route du communisme aveugle, alors qu’enfin les staliniens … on les connaissait mal ou on ne voulait pas les connaître, car enfin, il y avait déjà eu quelques fameux reportages, quelques retours d’URSS … 
Donc le terrorisme des intellectuels du PC était incroyable, d’une mauvaise foi absolue … je me souviens d’avoir 
eu quelques accrochages au Libre Examen svec quelques-uns de ses représentants.
Voilà la position historique des artistes de Cobra. Positivement, ils se sont tous retrouvés en harmonie autour 
d’une certaine spontanéité, une certaine naïveté, celle de l’enfant; et c’est vrai qu’à cinq ans, ma fille a fait 
quelque chose qui était presque aussi beau que du Appel 
Les hollandais surtout étaient fascinés par le monde de l’enfance, les danois eux avaient un lourd passé mythologique et des traditions folkloriques très fortes, et croyaient, eux, que cette spontanéité devait retrouver un 
certain art populaire, d’où l’exaltation mythique de l’art populaire comme fondement de l’art nouveau, ce qui parait
aujourd’hui une erreur anthropologique monumentale, parce que l’art populaire, c’est souvent un art savant maladroit, ou en tout cas, il emprunte beaucoup de choses à l’art savant et n’est sûrement pas l’expression spontanée de l’inconscient paysan.
Il faut dire que tout ceci se passe parallèlement aux recherches en Amérique ,des peintres que mes amis connaissaient peu, comme Pollock. Il y a donc eu à l’époque, outre-Atlantique, une espèce de libération du geste créateur, qui a duré ce qu’elle a duré mais qui a été à l’origine de la carrière de quelques grands peintres très différents: Alechinsky, Appel ou quelques autres.
L’animateur de ce groupe a été un très grand poète, Christian Dotremont, qui était hanté lui par l’abolition 
des frontière; entre les arts, et pas seulement au niveau des pays (Cobra était résolument internationaliste). 
Dotremont a cherché à travers un certain inconscient collectif une universalité de l’art. c’était un poète extraordinaire qui avait décidé d’abolir aussi les frontières entre le dessin et l’écriture, car il s’était aperçu qu’il y avait quelque chose de l’ordre du dessin dans son écriture. Il n’avait pas encore inventé le logogramme auquel 
j’ai consacré un film. Ce n’est qu’en 62 qu’il a accomplit ce projet d’abolir définitivement cette frontière en 
créant le logogramme. Dotremont était le coordinateur de toutes ces tendances un peu éparses, il a été le rassembleur pendant deux ans. Il avait fondé une revue, Cobra, à laquelle j’ai de temps en temps collaboré, l’ethnographie étant en quelque sorte mobilisée puisque chaque peintre essayait de retrouver dans son travail personnel ce que les peuples avaient collectivement et un peu aveuglément entrepris.

 

-T.P: N’y avait-il pas un côté “mythe du bon sauvage” dans ce mouvement ?

L.H: Oui, il y avait un côté un peu naïf … Je me souviens d’avoir fait l’apologie très imprudente d’un totémisme 
totalement imaginaire; j’étais encore très jeune et je n’avais pas encore fait de l’ethnologie sérieusement, et 
j’espère que cet article me sera pardonné.
( ..);il y avait quelques écrivains et poètes autour de Cobra, mais le noyau était constitué de peintres. Mon goût de la peinture était très ancien et j’étais là comme un poisson dans l’eau en la compagnie de peintres que je 
préférais de loin à celle des professeurs d’université! 
Je m’amusais beaucoup. Et voilà pourquoi j’ai fait bien après Cobra, en témoignage de cette aventure: deux films 
consacrés à des ex-cobristes, Dotremont et Alechinsky.

 

-T.P: Qu’est-ce qui vous est resté de Cobra?

-L.H: Surtout des souvenirs de jeunesse. Alechinsky m’avait entraîné là-dedans. Je vivais avec lui aux ateliers du 
Marais, avec Qlivier Strebelle et quelques autres, dans ce collectif avant la lettre, ce qu’on a appelé par la
suite un collectif d’artistes. Je suis très heureux d’avoir vécu en si bonne compagnie pendant deux ans. Par la 
suite, chacun a repris sa route, mais je suis resté très intime en particulier avec Alechinsky, qui m’avait accueilli quand j’ai quitté mes parents et que j’étais sans le sou. C’était pour moi la découverte d’un monde merveilleux 
au lendemain de la guerre, alors que nous étions tous à la recherche d’une vérité. Moi j’étais surtout attiré 
par le surréalisme et j’attendais comme un père substitutif le retour d’André Breton. Je suis allé chez Breton
à Paris et il m’a envoyé chez un troisième père substitutif, un homme un peu effacé du mouvement surréaliste puisque c’était le médecin de Breton, et un petit peu son Nostradamus: c’était Pierre Mabille, qui a été un peu oublié mais qui avait écrit un livre très important sur les mythologies populaires qui s’appelle: Miroirs du merveilleux. Il revenait d’Haïti où il avait fait des enquêtes sur le vaudou, 
je me suis donc senti tout de suite proche de lui, qui avait fait de l’ethnographie alors que je voulais en faire 
et s’intéressait aux mythes alors que moi je ne savais pas encore ce que c’était, et c’est avec lui que j’ai un petit 
peu joué à l’anthropologue ou au sociologue du mouvement. ( … ) Très rapidement on s’est aperçu que le mouvement surréaliste était un petit peu à bout de souffle. Alors, il y a eu dans Cobra un héritage du surréalisme: Dotremont avait participé au mouvement surréaliste révolutionnaire qui avait tenté l’impossible synthèse entre le marxisme-léninisme et le surréalisme. Il s’est ensuite brouillé avec Magritte et d’autres, mais la plupart des gens qui
ont fondé Cobra avait été plus ou moins influencés par le surréalisme. D’une certaine façon, on peut dire que
Cobra a réalisé dans la peinture une partie du programme de Breton que les peintres surréalistes n’avaient pas réalisée, car l’automatisme psychique y est devenu un automatisme physique pur. Il y a un texte très intéressant de 
Jorn où il dit qu’il n’y a jamais de psychique pur, qu’il y a toujours du matériel dans le psychique, et par conséquent,la peinture c’est aussi la spontanéité du geste, pas ,seulement de l’esprit. D’où l’opposition à un surréalisme de l’image, un peu froid, un peu statique, tel que Magritte l’avait réalisé. ( … )
Il y avait donc cette héritage du surréalisme, mais de plus en plus, les problèmes politiques ont cessé d’être 
au premier plan de nos préoccupations. C’était une époque extrêmement noire, il y avait la guerre de Corée et on s’attendait à une troisième guerre mondiale … et très étonnamment, alors que la pression du monde communiste 
était si forte pour qu’on choisisse, pression de Sartre aussi, Cobra a résolument décidé de tourner le dos à ces 
problèmes, pour s’intéresser à des problèmes de création et de poétique pures, à contretemps des courants dominants.

 

H.S: Cobra, c’était une initiation à la vie, fabuleuse pour ces jeunes gens. Perséphone, c’était très amusant … 
heu … pas très réussi

 

A.T: N’étant ni écrivain, ni peintre ni cinéaste, j’ai toujours été un peu en marge de Cobra, j’avais avec eux 
des rapports amicaux. Ces jeunes gens avait une ouverture sur le monde, et beaucoup d’appétit pour la vie
J’ai suivi pas à pas l’évolution de Perséphone. C’est le poète Jean Raine qui par la suite a écrit un poème pour 
souder les morceaux que Luc de Heusch avait filmé … un peu au hasard. C’est moi qui avait trouvé la maison, une 
vieille maison chaussée de Mons, qui tombait en ruines, des ruines très évocatrices: il n’y avait plus de carreaux 
aux fenêtres, tout était déglingué, les escaliers qui ne tenaient plus, le papier qui tombait, et un jardin en 
broussailles … l’endroit était merveilleux! Alors, le Séminaire des Arts a fait tout un cas de ce film, on’ a fait un véritable gala … (rires) pour ce film qui n’a pas vraiment tenu la route, mais on savait que si Luc 
faisait autre chose, il le ferait bien, car il était brillant. Après tout, il avait tourné ça en 16 mm, avec quelques milliers de francs, ce n’était pas commode!